Défaut d’assurance décennale : quand la responsabilité personnelle du dirigeant est engagée
Dans le secteur de la construction, le défaut d’assurance décennale constitue une faille lourde de conséquences. Lorsqu’une entreprise est défaillante et non assurée, le maître d’ouvrage, souvent démuni, peut se retourner contre le dirigeant en personne, dès lors que ce dernier a manqué à son obligation légale. La jurisprudence permet en effet d’engager sa responsabilité civile et pénale, sur le fondement d’une faute détachable de ses fonctions sociales.
1. Une faute détachable engageant la responsabilité personnelle du dirigeant
L’article L.241-1 du Code des assurances impose à tout constructeur de souscrire une assurance de responsabilité décennale avant l’ouverture du chantier. Ce devoir incombe à l’entreprise, mais également à son dirigeant, en tant que garant du respect des obligations légales.
Lorsqu’il y manque, ce manquement ne saurait être considéré comme une simple erreur de gestion. La Cour de cassation considère au contraire qu’il s’agit d’une faute détachable des fonctions sociales : une négligence grave, personnelle, et contraire aux obligations légales. En d’autres termes, le dirigeant ne peut se retrancher derrière la personnalité morale de la société pour échapper à sa propre responsabilité.
📌 Dans un arrêt du 5 décembre 2024 (Cass. 3e civ., n°22-22.998), la Haute juridiction a confirmé que le défaut d’assurance décennale engageait la responsabilité civile personnelle du dirigeant. Ce dernier a été condamné à indemniser directement le maître d’ouvrage pour les désordres affectant l’ouvrage. Une décision qui rappelle que l’écran de la société ne protège pas le dirigeant contre les fautes d’une telle gravité.
2. Une faute civile et pénale : un cumul possible des responsabilités
Le défaut d’assurance décennale est également une infraction pénale. L’article L.243-3 du Code des assurances sanctionne ce manquement par une amende pouvant atteindre 75 000 euros et une peine d’emprisonnement allant jusqu’à six mois. Cette infraction peut être relevée même en l’absence de sinistre, dès lors que le dirigeant a sciemment exposé les tiers à un risque non garanti.
Mais cette responsabilité pénale n’exclut pas la voie civile. Le maître d’ouvrage conserve le droit d’agir, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, pour obtenir la réparation intégrale de son préjudice.
Il peut ainsi réclamer :
- le coût des travaux de réparation,
- les frais d’expertise judiciaire,
- mais aussi tous les préjudices annexes : perte de jouissance, frais de relogement, préjudice moral, etc.
Ce cumul des responsabilités — civile et pénale — reflète le degré de gravité attaché au défaut d’assurance. Il rappelle que le dirigeant d’entreprise ne peut ignorer ses obligations légales sans s’exposer à des conséquences personnelles lourdes, tant sur le plan financier que pénal.
3. Que faire en cas de désordre en l’absence d’assurance décennale ?
Les recours du maître d’ouvrage dépendent de la situation du constructeur au moment de la découverte des désordres. Voici les principaux cas de figure à connaître :
⚠️ L’entreprise est toujours en activité, mais non assurée
Il est encore possible de tenter une régularisation via le Bureau central de tarification (BCT). Ce dispositif peut être mobilisé lorsque l’entreprise n’est pas parvenue à obtenir une assurance décennale couvrant le chantier.
Le BCT peut, sous certaines conditions, contraindre un assureur à garantir l’entreprise, évitant ainsi une mise en risque des tiers. Attention : cette procédure doit impérativement être engagée avant toute cessation d’activité de l’entreprise.
📌 Un article détaillé est consacré à ce sujet :
❌ L’entreprise est en liquidation judiciaire et non assurée
Dans ce cas, le seul recours viable consiste à engager la responsabilité personnelle du dirigeant. Il faudra démontrer que celui-ci a commis une faute détachable, en l’occurrence le non-respect de son obligation légale de souscrire une assurance décennale.
Cette action permet d’obtenir, devant les juridictions civiles, la condamnation du dirigeant à indemniser :
- le coût des travaux de reprise,
- les frais d’expertise,
- et l’ensemble des préjudices subis (perte d’usage, relogement, etc.).
- la réparation de tous préjudices connexes (perte d’usage, relogement, etc.).
Toutefois il est essentiel, avant d’engager une action en justice contre un dirigeant à titre personnel, de vérifier sa solvabilité. En effet, même en cas de condamnation, l’absence de patrimoine ou de ressources suffisantes du dirigeant peut rendre l’exécution de la décision judiciaire illusoire.
Le cabinet accompagne ainsi les maîtres d’ouvrage dans l’évaluation préalable de la situation financière du dirigeant concerné afin de sécuriser la stratégie contentieuse et d’optimiser les chances de recouvrement effectif des indemnités obtenues.
✅ À retenir
- Le défaut d’assurance décennale engage la responsabilité personnelle du dirigeant, sur le fondement d’une faute détachable de ses fonctions.
- La responsabilité peut être civile et pénale, et subsiste même après la disparition de la société.
- La solvabilité du dirigeant est un préalable nécessaire à toute action judiciaire pour sécuriser la stratégie et se prémunir contre une impossible exécution des condamnations