Présentation de l’affaire
La décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 11 septembre 2025 apporte des éclairages sur les conditions d’imputabilité des désordres dans le cadre de la garantie décennale.
Le litige concernait une maison d’habitation dont les travaux d’électricité avaient été réceptionnés le 31 juillet 2014. Quelques mois plus tard, un incendie a totalement détruit la maison. L’expertise judiciaire a identifié le tableau électrique comme l’origine probable du sinistre, sans pour autant pouvoir en préciser la cause exacte.
Devant le tribunal, les maîtres d’ouvrage ont recherché la responsabilité décennale de l’entrepreneur titulaire du lot électricité.
La cour d’appel de Toulouse a rejeté la mise en œuvre de la garantie décennale estimant que l’imputabilité entre le tableau électrique et un éventuel vice de construction ou une non-conformité à la charge de l’entrepreneur n’était pas démontrée avec certitude.
La solution de la Cour de cassation
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel en rappelant au visa de l’article 1792 du Code civil et de deux arrêts rendus par sa chambre le 1er décembre 1999 n°98-13.252 et le 20 mai 2015 n°14-13.721 :
« 10. Il en résulte :
– que, s’agissant du lien d’imputabilité, il suffit au maître de l’ouvrage d’établir qu’il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché ;
– que, lorsque l’imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s’exonérer qu’en démontrant que les désordres sont dus à une cause étrangère. »
Ainsi la Haute Juridiction a rappelé qu’il suffit au maître d’ouvrage de démontrer qu’il ne peut être exclu, compte tenu de la nature ou de la localisation des désordres, que ceux-ci soient liés à l’intervention du constructeur.
Dès lors que ce lien d’imputabilité est établi, la présomption de responsabilité décennale s’impose, même si la cause exacte des désordres demeure inconnue ou incertaine.
Rappels sur la garantie décennale : une responsabilité objective
Fondée sur l’article 1792 du Code civil, la garantie décennale instaure une responsabilité de plein droit du constructeur, envers le maître d’ouvrage ou l’acquéreur, pour les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination.
Cette responsabilité est objective : il n’est pas nécessaire de prouver une faute. Le constructeur ne peut s’exonérer qu’en démontrant l’existence d’une cause étrangère, telle que la force majeure, le fait d’un tiers ou une faute du maître d’ouvrage.
Cette garantie couvre notamment :
- Les dommages affectant la solidité de l’immeuble
- Ceux rendant l’ouvrage impropre à sa destination
- Les atteintes aux éléments d’équipement indissociables de l’ouvrage
L’imputabilité, condition assouplie
Traditionnellement, la mise en œuvre de la garantie décennale exigeait que les désordres soient imputables à l’intervention du constructeur. La jurisprudence récente, marquée par cet arrêt du 11 septembre 2025, assouplit cette exigence : le maître d’ouvrage n’a plus à prouver que le sinistre résulte d’un vice de construction, mais seulement qu’il est susceptible d’avoir un lien avec les travaux réalisés. Ce revirement traduit une évolution jurisprudentielle plus favorable aux maîtres d’ouvrage, notamment en matière d’incendies.
Impacts pratiques
Pour les maîtres d’ouvrage, cette jurisprudence facilite l’exercice de leurs droits en garantie décennale, en réduisant la charge de la preuve. Pour les constructeurs, cette évolution accroît leur charge probatoire, les contraignant à prouver l’existence d’une cause étrangère pour s’exonérer. Les causes d’exonération demeurent strictes : force majeure, fait d’un tiers ou faute du maître d’ouvrage.
Conseils pratiques
- Pour les constructeurs : renforcer la qualité et le suivi des interventions, documenter soigneusement chaque étape, et veiller à disposer d’une assurance décennale adaptée.
- Pour les maîtres d’ouvrage : agir dans le délai légal de dix ans, conserver toutes les preuves, et faire réaliser une expertise contradictoire en cas de désordre.
Cette décision confirme l’importance d’une veille juridique constante en droit de la construction, domaine en perpétuelle évolution, pour anticiper les responsabilités et garantir la sécurité juridique des parties.