Si la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19 semble aujourd’hui terminée, les juridictions françaises continuent de trancher des litiges nés pendant la crise, dirigés contre les compagnies d’assurances refusant la prise en charge des pertes d’exploitation engendrées par la fermeture administrative des établissements ouverts au public.
En effet, les entreprises qui avaient souscrits des assurances perte d’exploitation sollicitaient la prise en charge de leurs pertes d’exploitation liées à la fermeture administrative imposée par le gouvernement.
Or, les assurances ont rapidement opposé à ces dernières les clauses d’exclusion prévues dans les polices d’assurance.
Pour rappel, la clause d’exclusion permet aux assureurs d’identifier les cas et les hypothèses dans lesquels l’assuré n’est pas couvert par le contrat et de priver le bénéficiaire du contrat de la réparation d’un préjudice subi.
Encore faut-il que ces clauses d’exclusion ne soient pas nulles. La validité de la clause d’exclusion au regard des conditions imposées par le législateur constitue le cœur du litige opposant les entreprises et les assureurs.
C’est l’article L. 113-1 du Code des assurances, premier alinéa qui encadre la validité de la clause d’exclusion : « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».
Ainsi, les clauses d’exclusion doivent respecter deux critères cumulatifs pour être valides : être formelle et limitée.
- Le caractère formel de la clause est retenu par la Cour de cassation lorsque la clause « est rédigée de façon claire, précise et non équivoque, de sorte que l’assuré peut déterminer sans difficulté les cas dans lesquels le risque ne sera pas couvert » (Cass. 2e civ., 18 janv . 2006, n° 04-17.872)
- Le caractère limité de l’exclusion s’apprécie par rapport à l’effectivité de l’engagement de l’assureur. Dès lors, la clause ne doit pas contredire la portée de l’engagement de l’assureur. (Cass. 2e civ., 19 nov. 2009, n° 08-14.300)
C’est sur la base de ces deux critères que la 2ème chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée dans 4 arrêts du 1er décembre 2022 sur la validité des clauses d’exclusion des contrats d’assurance AXA, dans le cadre de contentieux opposant la compagnie à des restaurateurs, et mettant un terme aux espoirs des assurés de voir leurs pertes indemnisées. (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-19.341, n° 21-15.392, n° 21-19.342, n° 21-19.343)
En l’espèce, le contrat prévoyait une garantie couvrant les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative de l’établissement qui était la conséquence « d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication » mais contenait une clause d’exclusion dans le cas suivant :
« Lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
La Cour de cassation a ici considéré que la clause d’exclusion était suffisamment claire et ne vidait pas l’engagement de l’assureur de sa substance, annulant les diverses décisions d’appel qui jugeaient cette clause comme illimitée.
Par ces décisions, la Cour de cassation a ainsi privé les assurés ayant souscrit des contrats contenant une telle clause de la possibilité de voir indemniser leurs pertes d’exploitation liées à la fermeture des établissements durant la crise sanitaire.
Il paraissait pourtant contradictoire qu’une clause qui vise à couvrir les cas d’épidémies ou de maladies contagieuses puisse prévoir un cas d’exclusion lorsqu’un autre établissement sur le même département est concerné.
Récemment, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de l’inopposabilité d’une clause d’exclusion prévue dans un contrat d’assurance AXA dont la rédaction présentait des ambiguïtés (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739).
En l’espèce, la clause prévoyait que « demeure toutefois exclue :
- La fermeture consécutive à une fermeture collective d’établissements dans une même région ou sur le plan national,
- Lorsque la fermeture est la conséquence d’une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession ».
La question soulevée en l’espèce était de savoir si une telle clause pouvait être considérée comme formelle au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances.
La Cour d’appel de Nîmes avait jugé la clause comme formelle, considérant que l’absence d’emploi du mot « et » entre les deux cas d’exclusion démontre que ceux-ci ne sont pas cumulatifs, et que le seul emploi du verbe « demeure » au singulier ne permet pas de dire que la clause n’est pas formelle puisque chacun des cas d’exclusion pouvait être examiné distinctement, s’agissant de situations distinctes (CA Nîmes, 6 avril 2022, n°21/01870).
La Cour de cassation casse finalement l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point, en rappelant tout d’abord qu’« une clause d’exclusion n’est pas formelle lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation ».
En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que l’emploi de la conjonction de coordination « lorsque » dans la clause d’exclusion rendait la clause ambigüe, et par conséquent non formelle :
« En statuant ainsi, alors que la clause d’exclusion précitée, rendue ambiguë par l’usage de la conjonction de subordination « lorsque », nécessitait interprétation, de sorte qu’elle n’était pas formelle, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Par cet arrêt, la Cour de cassation sanctionne donc l’imprécision et le manque de clarté de la clause d’exclusion prévue au contrat, la rendant inopposable à l’assuré et lui permettant dès lors de voir ses pertes d’exploitation découlant de la fermeture administrative imposée lors de la crise sanitaire prises en charge par son assureur.
Cependant, cette prise en charge par l’assureur n’est possible que dans le cas où le contrat couvre les pertes d’exploitation pour cause de fermeture administrative de l’assuré.
En effet, dans deux arrêts du 7 mai 2024, la Cour d’appel d’Angers a écarté la prise en charge des pertes d’exploitation subies par l’assuré du fait de la fermeture imposée de l’établissement lors de la crise sanitaire car le contrat souscrit en l’espèce ne couvrait que le cas de pertes d’exploitation consécutives à un dommage aux biens (Cour d’appel d’Angers, Chambre A – Commerciale, 7 mai 2024, n° 21/01749, n°22/01581).
La Cour d’appel a jugé dans ce cas que :
« La perte d’exploitation qui est garantie est soit consécutive à un dommage aux biens de l’assuré, immeuble ou meuble (qu’il s’agisse d’un bien corporel ou incorporel), soit consécutive à un dommage aux biens de tiers, ce qui est le cas lorsqu’elle est consécutive à un dommage matériel survenu dans les locaux des fournisseurs ou clients.
N’invoquant aucun de ces cas, la perte d’exploitation dont il est demandé l’indemnisation n’est pas garantie par le contrat. »
La Cour d’appel rappelle ici que la prise en charge des pertes d’exploitation découlant de la fermeture administrative de l’établissement implique que l’assuré ait souscrit à une assurance couvrant de telles pertes.
Pour conclure, il apparaît que la question de la prise en charge des pertes d’exploitation pour cause de fermeture administrative lors de la crise sanitaire est tranchée par les juges en considération de la rédaction des contrats, aussi bien quant aux garanties expressément couvertes par le contrat, qu’à la rédaction des clauses d’exclusion qui doivent respecter les conditions de l’articles L.113-1 du Code des assurances pour être valablement opposables aux assurés.