La société allemande Birkenstock, bien connue pour ses sandales iconiques à semelle de liège, a récemment été au cœur de plusieurs batailles juridiques importantes, révélant les limites et complexités du droit de la propriété intellectuelle, tant en Allemagne qu’en France.
Après les Crocs et les Louboutins (liens vers nos articles), le secteur de la chaussure donne décidément du fil à retordre aux juges français et européens ces derniers temps.
Droit d’auteur : nul n’est prophète en son pays…
En février 2025, la Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof) a rendu un arrêt relatif à la protection des sandales Birkenstock par le droit d’auteur.
La marque prétendait que ses sandales étaient des « œuvres des arts appliqués » — des objets utilitaires bénéficiant d’une protection juridique renforcée. Or, la plus haute juridiction allemande a rejeté cette demande, estimant que les sandales, malgré leur popularité et leur design reconnu, n’étaient pas des œuvres protégées… (Bundesgerichtshof – Cour fédérale allemande, 20 février 2025).
Selon la Cour, pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, une œuvre d’art appliqué doit atteindre un niveau de conception qui révèle l’individualité. Or, les sandales griffées « Birkenstock » ne présenteraient pas un niveau suffisant de « prestation artistique » ou d’originalité créative.
En effet, la société allemande n’aurait fait que reprendre des éléments techniques connus, ce qui relève davantage du savoir-faire artisanal que de la création artistique.
Ainsi, la marque n’a pas pu empêcher la fabrication et la commercialisation de modèles relativement similaires par ses concurrents.
Cette décision s’inscrit dans une tradition jurisprudentielle allemande plutôt stricte, qui exige une conception artistique notable, au-delà des contraintes techniques inhérentes à un objet fonctionnel.
Cette position contraste avec la jurisprudence européenne, notamment celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui adopte une définition plus souple de l’originalité et protège les objets utilitaires dès lors qu’ils reflètent une création intellectuelle propre, même si leur forme est partiellement dictée par des contraintes techniques.
Cette divergence fait l’objet de questions préjudicielles posées à la CJUE, dont les décisions à venir pourraient réconcilier ou amplifier ces différences.
Une question demeure par ailleurs : qu’en serait-il devant le juge français ? Impossible d’affirmer avec certitude que la sandale Birkenstock remplirait les conditions de protection par le droit d’auteur (à savoir, être une « œuvre originale de l’esprit »).
Droit des marques : une semelle sous le feu des projecteurs
Outre le droit d’auteur, Birkenstock tente également de protéger la forme et les motifs de sa semelle par le droit des marques, à l’instar de Louboutin (hyperliens vers nos articles).
En France, la forme et les motifs figurant sous la semelle des Birkenstock (des vagues ou ondulations croisées) ont été enregistrées comme marque figurative en 2014.
Toutefois, cette protection se trouve elle aussi fragilisée aujourd’hui. La Cour d’appel de Paris a récemment confirmé que, même si le motif décoratif sur la semelle n’est pas purement fonctionnel, ce dernier s’avère néanmoins dépourvu de caractère distinctif (Cour d’appel de Paris, 24 janvier 2025).
En clair, le public et les consommateurs ne retiennent pas ce détail comme un signe distinctif de la marque, devant permettre d’identifier l’origine commerciale des sandales, mais plutôt comme un simple ornement de ces dernières.
Par ailleurs, Birkenstock n’a pas réussi à démontrer une reconnaissance suffisante en France, notamment en termes de part de marché ou d’investissements publicitaires, pour justifier d’une acquisition de la distinctivité de la marque par l’usage.
Enjeux pour les créateurs et l’industrie de la mode et du design
Ces décisions illustrent les difficultés rencontrées par les créateurs et fabricants dans la protection juridique de leurs créations et de leurs designs – particulièrement lorsque ceux-ci mêlent fonctionnalité et esthétique -, mais également les nuances entre les régimes nationaux et européens, ainsi que les enjeux liés à l’harmonisation des règles.
Pour les entreprises, ces jurisprudences rappellent en outre la nécessité d’optimiser leur stratégie de valorisation de leurs actifs immatériels, et l’importance d’une diversification réfléchie de leurs moyens de protection (marques, droits d’auteur, dessins et modèles, brevets, etc.).