Les conséquences de l’invalidité d’une marque française

Cabinet CMC AvocatActualités droit des affaires

 

Nous l’avons vu dans les articles précédents, pour pouvoir accéder au titre de marque en France, un signe doit passer 4 étapes cumulatives :

Si une marque ne respecte pas ces quatre conditions, elle est par conséquent invalide et elle encourt plusieurs sanctions.

  1. La marque peut être refusée par l’INPI

L’INPI peut refuser l’enregistrement d’une marque si cette dernière ne respecte pas les conditions de fond posées par le Code de la propriété intellectuelle, telles que nous les avons décrites dans les articles précédents.

Toutefois, l’INPI ne procède pas à une analyse de fond de la demande de marque. En effet, l’office effectue uniquement un examen des motifs absolus de refus listés à l’article L.711-2 du CPI. En parallèle, il effectue un examen sur la forme du dépôt et veille notamment à ce que la demande d’enregistrement de marque soit régulièrement complétée, qu’elle ne contienne pas d’irrégularités matérielles, que les documents annexes soient bien transmis et que les redevances soient dûment versées.

C’est ainsi que l’INPI a émis un refus total de la marque PAULS reproduite ci-dessous pour tous les produits et services en vertu de l’article L.711-2, 7° du CPI qui exclut, à titre de marque, les signes relatifs aux emblèmes d’Etat. La condition de licéité n’étant pas respecté puisque le drapeau de la France était reproduit dans le signe, la marque n’était pas valide et a donc été rejetée dans son intégralité.

 

  1. La marque peut faire l’objet d’une opposition par des tiers après son dépôt

Quand bien même la demande de publication de la marque aurait été acceptée par l’INPI, celle-ci peut faire l’objet d’une opposition par des tiers après sa publication lorsque ceux-ci disposent de droits antérieurs.

En effet, l’INPI permet aux tiers de faire opposition contre une demande de marque française dans un délai de deux mois à compter de la publication de cette demande : [1]

  • Au Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI) lorsqu’il s’agit d’une marque française
  • Dans la Gazette des marques internationales de l’OMPI pour les enregistrements internationaux désignant la France

Ce délai est ferme de sorte que toute opposition formée au-delà sera irrecevable.

 

Attention : L’INPI n’informe pas les titulaires de marque qu’une demande de marque identique ou similaire désignant des produits identiques ou similaires a été déposée. Le titulaire d’une marque doit donc veiller à surveiller sa marque pour permettre sa protection.

 

En vertu de l’article L.712-4 du CPI et depuis la loi PACTE[2],  la procédure d’opposition à l’encontre d’une demande d’enregistrement doit être basée sur au moins un des droit antérieurs suivants :

  • Une marque française déposée/enregistrée,
  • Une marque internationale ayant effet en France ou dans l’Union Européenne,
  • Une marque de l’Union Européenne déposée ou enregistrée,
  • Une marque  antérieure jouissant d’une renommée,
  • Un nom, une image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunal,
  • Une indication géographique, une appellation d’origine protégée ou une appellation d’origine contrôlée,
  • Une dénomination sociale ou une raison sociale,
  • Un nom commercial, une enseigne,
  • Un nom de domaine,
  • Un nom d’une entité publique.

C’est ainsi que la collectivité territoriale COMMUNE DE BORDEAUX a formé opposition à l’enregistrement de la marque « BORDEAUX TENDANCES » sur le fondement de l’atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale. L’opposition a été reconnue justifiée par l’INPI qui a donc rejeté la demande d’enregistrement de la marque « BORDEAUX TENDANCES ».[3]

S’agissant des droits d’auteur, des dessins et modèles ou des droits de la personnalité, ils ne constituent pas des fondements possibles pour une opposition.  Seule une action en nullité devant le tribunal judiciaire pourra être engagée sur la base d’un de ces fondements.

La procédure d’opposition devant l’INPI permet uniquement de voir rejeter la demande de marque litigieuse. Elle ne permet pas d’obtenir des dommages et intérêts. De même, elle ne permet pas d’obtenir une injonction sous astreinte de ne pas continuer à utiliser la marque.

La procédure d’opposition devant l’INPI est optionnelle, le titulaire d’une marque peut toujours préférer une autre action.

 

  1. La marque peut encourir la nullité

La marque déposée et enregistrée, qui n’a pas fait l’objet d’opposition par des tiers, peut tout de même être déclarée nulle par décision de justice ou par une décision du Directeur général de l’INPI si elle ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L.711-2, L.711-3, L.715-4 et L.715-9 [4] du Code de la propriété intellectuelle.

Tout comme l’action en déchéance ci-après, l’INPI s’est vu transférer par « Paquet marques »[5] la compétence exclusive pour les demandes en nullité formées à titre principal, depuis le 1er avril 2020.

La demande en nullité n‘est donc plus du ressort des juridictions, sauf en cas de demande reconventionnelle en nullité.

On distingue les actions en nullité selon les causes de nullité absolue et les causes de nullité relative.

 

  • Les causes de nullité absolue

Il y a nullité absolue lorsque la marque a été enregistrée malgré un des motifs absolus tels qu’énoncés dans l’article L.711-2 du code la propriété intellectuelle.

« Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls :

1° Un signe qui ne peut constituer une marque au sens de l’article L. 711-1 ;

 2° Une marque dépourvue de caractère distinctif ;

 3° Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation du service ;

 4° Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;

 5° Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;

 6° Une marque exclue de l’enregistrement en application de l’article 6 ter de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle à défaut d’autorisation des autorités compétentes ;

 7° Une marque contraire à l’ordre public ou dont l’usage est légalement interdit ;

 8° Une marque de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ;

 9° Une marque exclue de l’enregistrement en vertu de la législation nationale, du droit de l’Union européenne ou d’accords internationaux auxquels la France ou l’Union sont parties, qui prévoient la protection des appellations d’origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties ;

 10° Une marque consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure, enregistrée conformément au livre VI du présent code, au droit de l’Union européenne ou aux accords internationaux auxquels la France ou l’Union sont parties, qui prévoient la protection des obtentions végétales, ou la reproduisant dans ses éléments essentiels, et qui porte sur des variétés végétales de la même espèce ou d’une espèce étroitement liée ;

 11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.

 Dans les cas prévus aux 2°, 3° et 4°, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis à la suite de l’usage qui en a été fait. »

C’est ainsi que la marque « GANG BANG A PARIS » a été annulée par l’INPI pour contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (article L.711-2, 7°), au motif que la marque diffuse un message susceptible de porter atteinte à la moralité des mineurs, ce qui est interdit par l’article L.227-24 du Code Pénal : « Le signe contesté ne pourra donc être perçu autrement que comme ce qu’il désigne de manière évidente et habituelle, à savoir une pratique sexuelle relevant du milieu pornographique susceptible de dégager une image violente et dégradante. » [6]

 

  • Les causes de nullité relative

Il s’agit des demandes en nullité qui portent sur des droits antérieurs opposables au titulaire de la marque en cause. Il s’agit des mêmes droits mentionnés dans le paragraphe 2 ci-avant (La marque peut faire l’objet d’une opposition par des tiers après son dépôt).

C’est ainsi que la marque « ROMANTIQUE » n’a pas pu être adoptée comme marque en ce qu’elle portait atteinte aux droits antérieurs d’un tiers. Celui-ci avait fondé son opposition sur la dénomination sociale antérieure « DOMAINE LA ROMANCE » qu’il exploitait avant le dépôt de la marque litigieuse.[7]

Contrairement à la procédure d’opposition, il est possible pour le demandeur à l’action en nullité de se prévaloir de droits d’auteur, droit de la personnalité ou d’un dessin et modèle pour fonder la demande en nullité d’une marque postérieure.

La demande en nullité peut être fondée sur un ou plusieurs motifs et, sous réserve de leur appartenance au même titulaire, elle peut être fondée sur plusieurs droits antérieurs.

Pour déterminer si la nullité est totale ou partielle, celle-ci doit être appréciée en fonction des produits et des services visés dans le libellé.

L’annulation de la marque a un effet absolu : elle est réputée n’avoir jamais existé.

 

  1. La fragilité des actions basées sur une marque invalide

Si une marque déposée et enregistrée est passible de nullité, toute action de la part du titulaire sur la base de cette marque (action en contrefaçon, opposition, nullité, …) présentera une importante fragilité.

En effet, son titre pourra être remis en cause par le défendeur qui cherchera alors à faire tomber celui-ci, rendant par conséquent irrecevable l’action initiée par le titulaire de la marque initiale.

 

CONCLUSIONS

 

Le fait qu’une marque ait été enregistré par l’INPI ne constitue par un titre incontestable et ne confère pas à son titulaire une protection inébranlable.

Il est donc indispensable de procéder à des vérifications pointues et complète avant tout dépôt d’une demande de marque, au rachat d’une marque ou à l’engagement d’une action administrative ou judiciaire sur la base d’une marque, afin d’apprécier la force du titre considéré et la portée réelle de sa protection.

 

 

[1] Article L.712-3 du Code de la propriété intellectuelle

[2] Loi n°2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019

[3] INPI, 23-1517, 6 novembre 2023

[4] Article L.714-3 du CPI

[5] PE et Cons.UE, 2016/2436, 16 décembre 2016

[6] Décision N°NL20-0024 du 10 novembre 2020 – INPI

[7] Décision INPI 21-1035 du 31 aout 2021