Copyright Markus Spiske

L’unanimité exclut l’abus de majorité !

Cabinet CMC AvocatActualités droit des affaires, Actualités juridique

Par un arrêt rendu sur renvoi en date du 8 novembre 2023, publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce le principe d’une incompatibilité entre le consentement unanime de tous les associés à une décision collective et l’existence d’un abus de majorité (Cass. com. 8 novembre 2023, n° 22-13.851)

Le 21 juillet 2014, deux associés, l’un majoritaire et dirigeant, l’autre, sa compagne, minoritaire, ont consenti une promesse de cession de l’intégralité de leurs titres de la société MPM à un tiers. Par deux assemblées distinctes des 29 octobre et 24 novembre 2014, soit entre la signature de la promesse et la réalisation définitive de la vente, les deux cédants ont décidé, à l’unanimité, d’octroyer au dirigeant majoritaire une prime exceptionnelle de 83 000 € et un rappel de salaire d’un montant de 3 049,94 €. Par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, la plus importante de ces deux primes a été portée à la connaissance du cessionnaire, avant la conclusion définitive de la vente. Devenu dirigeant de la société MPM, le cessionnaire s’est opposé au paiement des sommes allouées par les assemblées générales précitées de la société MPM. Le cédant, ancien associé majoritaire et dirigeant, a alors assigné la société MPM, dont le contrôle avait changé, en paiement d’une somme totale de 84 623,05 €. Le cessionnaire et nouveau dirigeant, intervenant volontairement à l’instance a demandé l’annulation des résolutions des assemblées générales des 29 octobre et 24 novembre 2014 comme procédant d’un abus de majorité.

Dans cette affaire, un premier arrêt de cassation a été rendu par la Chambre commerciale le 13 janvier 2021 jugeant que la seule violation de l’intérêt social ne suffisait pas à emporter la nullité de décisions sociales (Cass. com., 13 janv. 2021, n° 18-21.860). Elle y énonce, au double visa des articles 1382 du Code civil (devenu 1240) et L. 235-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 dite PACTE, qu’ « il résulte du second qu’une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés ».

Devant la cour d’appel de renvoi revient la qualification d’abus de majorité. Après avoir rappelé ses conditions cumulatives — une décision prise contrairement à l’intérêt de la société et ce, dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés — la société et son nouvel associé soutenaient qu’un abus de majorité pouvait être caractérisé nonobstant le vote de l’associé minoritaire en faveur de la délibération sociale litigieuse.

L’argument est rejeté par le Cour d’appel d’Orleans. Et la Cour de cassation, dans son arrêt du 8 novembre 2023, énonce un principe selon lequel « la décision prise à l’unanimité des associés ne peut être constitutive d’un abus de majorité ».

1. Incompatibilité entre décision unanime et abus de majorité

L’enseignement de cet arrêt réside dans cette incompatibilité de principe entre le consentement unanime de tous les associés à une décision collective et l’existence d’un abus de majorité. La Chambre de commerciale pose qu’il n’y a donc pas, a priori, de rupture d’égalité entre associés en présence d’une décision prise à l’unanimité des associés.

Pour rappel, l’abus de majorité requiert le cumul de deux conditions : une décision contraire à l’intérêt social et, prise dans l’unique objectif de favoriser les associés majoritaires au détriment des autres. Cette seconde condition est présentée comme l’impératif d’une rupture d’égalité entre associés.

La Cour de cassation ne reprend pas cette formule en affirmant qu’une décision unanime ne peut constituer un abus de majorité. Il ne s’agit pas d’un nouveau critère mais du fait que la rupture d’égalité fasse défaut puisque les décisions critiquées ont été prises à l’unanimité. La décision unanime emporterait présomption irréfragable d’absence de rupture d’égalité, donc d’abus de majorité.

Cette solution parait relever du bon sens pour l’ensemble de la Doctrine. Une décision unanime ne permet pas de favoriser certains associés au détriment d’autres. Il n’y aurait pas de préjudice pour un minoritaire qui accepte une décision quand bien même elle serait économiquement contraire à son intérêt personnel. Et ce dès lors qu’il le fait en pleine connaissance et en exerçant les droits dont il a la libre disposition.

2. Une portée à ne pas amplifier

En outre, c’est bien l’unanimité des associés qui est ici visée. La totalité des associés d’une société doivent se prononcer et non les seuls associés présents ou représentés à une AG par exemple. Cette conception de la Cour paraît écarter les logiques de minoritaire ou majoritaire. Rendant sans objet l’abus de majorité.

L’abstention de certains associés suffirait ainsi à faire « dégrader » une décision unanime en décision simplement majoritaire. La référence à l’unanimité des associés est donc centrale à l’application de la présomption d’absence d’abus de majorité.

Par ailleurs, en droit des sociétés, un associé est toujours fondé à justifier à critiquer une décision, même unanime, sur d’autres fondements que l’abus de majorité. Il en est ainsi du vice de consentement ou de celui de la fraude à ses droits par exemple.

Un associé qui bien qu’ayant participé à l’adoption d’une décision aurait par la suite découvert qu’il a été trompé par une présentation erronée ou fallacieuse des dirigeants ou ses co associés, devrait pouvoir mener une action à l’effet de remettre en question ladite décision.


CMC Avocats, grâce à une équipe formée en droit des sociétés, peut vous accompagner dans le cadre de toutes vos opérations juridiques.
N’hésitez pas à nous contacter pour échanger sur votre dossier et convenir d’un rendez-vous, par téléphone au 05.56.48.08.88 ou par courriel à l’adresse cabinet@cmc-avocats.com.