LA BLOCKCHAIN : un nouvel outil de preuve au service du droit d’auteur ?

Cabinet CMC AvocatActualités droit des affaires

Dans un jugement remarqué rendu le 20 mars 2025 (TJ Marseille, 1ʳᵉ ch. civ., RG n° 23/00046), le Tribunal judiciaire de Marseille a reconnu, pour la première fois, la valeur probante d’un ancrage blockchain pour établir l’antériorité d’une œuvre revendiquée au titre du droit d’auteur.

 

Il s’agit d’une évolution jurisprudentielle significative en matière de propriété intellectuelle : si la blockchain était déjà utilisée par de nombreux créateurs pour horodater leurs œuvres, son admission explicite comme preuve recevable dans un contentieux civil en contrefaçon restait inédite en France.

 

RAPPEL SUR LA BLOCKCHAIN :

Développée à partir de 2008, la blockchain ou « chaîne de blocs » en français est basée sur une technologie de stockage et de transmission d’information sécurisée et fonctionnant sans organe central de contrôle. Elle constitue une base de données, un registre contenant l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création.

Elle est partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, également détenteurs de ce registre, et ayant la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique sécurisé.

 

⚖️ L’AFFAIRE EN BREF

La société Az Factory, éditrice de créations de mode, poursuivait la société Valeria Moda, accusée d’avoir commercialisé des vêtements reproduisant servilement des modèles protégés.

Pour démontrer sa qualité d’auteur, Az Factory produisait :

  • des constats d’huissier relatifs à l’ancrage des croquis sur la blockchain, via la plateforme BlockchainYourIP,
  • la divulgation publique des œuvres sur les réseaux sociaux,
  • et la présence de marques déposées sur les vêtements.

Le tribunal a validé la valeur probante de l’ancrage blockchain, retenant que les empreintes numériques horodatées permettaient d’établir l’antériorité de la création, dès lors qu’elles étaient certifiées par un officier public (en l’occurrence, un huissier de justice).

Les juges ont conclu que la société défenderesse avait porté atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur d’Az Factory, et l’ont condamnée à des dommages-intérêts.

 

🧩 APPORT JURIDIQUE DE LA DECISION

Cette décision marque une avancée jurisprudentielle majeure : elle valide l’usage de la blockchain comme élément de preuve dans le contentieux du droit d’auteur, au même titre que des preuves plus classiques (enveloppe Soleau, dépôt notarié, lettre recommandée…).

Elle s’inscrit dans une tendance européenne déjà amorcée, l’Italie reconnaît l’horodatage blockchain depuis 2019, et plusieurs États américains (Tennessee, Vermont, Nevada) ont légiféré en ce sens.

En France, jusqu’à présent, la jurisprudence restait prudente, malgré une ouverture doctrinale sur la liberté de la preuve (C. civ., art. 1358).

 

Attention toutefois. Cette nouvelle position jurisprudentielle permet exclusivement de prouver l’existence d’un fichier à une date donnée. La blockchain ne permet néanmoins pas de prouver la titularité des droits, ni a fortiori l’originalité des œuvres.

En outre, le recours à un tiers de confiance reste essentiel : ici, c’est un huissier qui a authentifié la procédure d’ancrage et a donc garantit la fiabilité.

 

La blockchain pourrait donc devenir un outil stratégique pour les créateurs pour :

  • tracer les étapes du processus créatif,
  • établir une chronologie fiable,
  • consolider un faisceau d’indices probatoires en cas de litige.

 

Il conviendra donc de suivre l’éventuelle consolidation de cette solution par d’autres juridictions, voire son intégration légale à moyen terme.