Entre flexibilité et sécurité juridique, l’arrêt du 10 juillet 2024 éclaire les règles du jeu !
Le 10 juillet 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt attendu (n°22-15.651) portant sur la question cruciale de la déterminabilité du prix dans les contrats de cession de parts sociales.
Transposable à toutes les cessions de titres. Cette décision illustre les exigences contractuelles dans le cadre des relations d’affaires, où l’équilibre entre la souplesse contractuelle et la sécurité juridique est essentiel.
Dans cette affaire, un associé a apporté l’intégralité de ses parts sociales d’une société tierce à la société ESV qui en contrepartie a émis à son profit des bons de souscription d’actions (BSA). Le contrat stipulait que les BSA deviendraient caducs dans les cinq ans suivant la date de souscription à l’exception de cas limitativement listées (décès ou licenciement économique notamment). L’associé, qui était par ailleurs salarié, fut licencié pour faute grave et perdit le bénéfice de ses BSA. Il intenta une action judicaire en nullité du contrat d’apport invoquant notamment la vileté du prix et contestant la validité de la clause de détermination du prix, affirmant qu’elle introduisait une incertitude non conforme à la loi.
Après que le tribunal de commerce de Paris l’a débouté de sa demande, la Cour d’appel de Paris lui a donné raison, jugeant que le prix n’était pas suffisamment déterminé ni déterminable, ce qui constituait, selon elle, une atteinte au principe de sécurité contractuelle. Pour la Cour d‘appel la qualification du licenciement de faute grave relevait entièrement de la compétence de l’employeur également cessionnaire. Aussi le prix des parts était dépendant de ce dernier et indéterminable au sens de l’article 1591 du Code civil. Par conséquent l’acte devait etre frappé de nullité.
La Cour de cassation a partiellement censuré l’arrêt de la Cour d’appel sous le visa de l’article 1591 du Code civil qui dispose que « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. » Réaffirmant un principe fondamental en droit des contrats, la Haute juridiction rappelle qu’un prix peut être déterminé de manière différée, pourvu que les critères de sa détermination soient objectifs, indépendants de la volonté des parties, et définis avec suffisamment de clarté au moment de la conclusion du contrat.
Elle énonce, visant l’article 1591 du Code civil, que « Ces dispositions n’imposent pas que l’acte porte lui-même indication du prix, mais seulement que ce prix soit déterminable. Tel est le cas lorsqu’il est lié à la survenance d’un événement futur ne dépendant pas de la seule volonté de l’une des parties ni d’accords ultérieurs entre elles. »
Ainsi, la Cour de cassation a insisté sur la distinction entre « indétermination » et « indéterminabilité » du prix.
L’indétermination du prix peut être admise dans certains contrats si des critères préétablis permettent de le fixer à une date ultérieure.
L’indéterminabilité, en revanche, rendrait la clause nulle, car le prix ne pourrait jamais être fixé sans arbitrage ou intervention extérieure non prévue par les parties.
Dans le cas d’espèce, la Cour a jugé que les critères définis dans le contrat de cession étaient suffisamment objectifs pour assurer la validité de la clause de fixation différée du prix. Le licenciement pour faute grave n’était nullement dépendant de la seule volonté de la société cessionnaire bien qu’elle fut l’employeur du cédant. Pour se produire, un tel évènement devait résulte des circonstances objectives susceptibles d’etre soumises au contrôle du juge.
Cette décision constitue des rappels importants :
- Prévisibilité contractuelle : Lorsqu’un prix est différé, les critères doivent être suffisamment précis pour éviter toute contestation. Par exemple, les indicateurs financiers ou économiques retenus doivent être mesurables (comme un chiffre d’affaires audité ou un EBITDA vérifiable).
- Indépendance des critères : Les modalités de fixation du prix ne doivent pas dépendre exclusivement de la volonté de l’une des parties (ce qui serait assimilé à une fixation discrétionnaire ou potestative et par conséquence non valable).
- Rédaction rigoureuse : Les rédacteurs de contrats doivent anticiper les litiges potentiels en définissant clairement les étapes, délais, et conditions de vérification des critères retenus. Une clause d’arbitrage ou une référence à un expert indépendant peut renforcer la sécurité juridique.
Cet arrêt s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante en matière de détermination du prix, mais il en affine la portée dans le domaine spécifique des cessions de titres sociaux. Il rappelle que la sécurité juridique des transactions repose avant tout sur la capacité des parties à s’engager dans des termes clairs et vérifiables.
L’arrêt du 10 juillet 2024 est un jalon dans l’interprétation des clauses de détermination différée du prix. Il renforce l’idée que le contrat, même dans sa souplesse, doit offrir un cadre transparent et prévisible aux parties. Cet arrêt est une invitation à redoubler de vigilance dans la rédaction de ces clauses, afin d’assurer la sécurité des transactions tout en préservant la souplesse nécessaire à la négociation commerciale. Par exemple, si un contrat prévoit un « Bad Leaver » avec une décote sur le prix des titres, il devra détailler les circonstances déclenchantes (type de faute, de licenciement, etc.) et prévoir des méthodes objectives pour évaluer la réduction appliquée.
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