Le nouvel article 1253 ou quand le Code civil fait place au trouble anormal de voisinage

Cabinet CMC AvocatDroit de l’immobilier et de la construction

Consacré par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 novembre 1986, le trouble anormal de voisinage n’a jamais eu le vent en poupe auprès du législateur.

 

Jamais ?

En tout cas jusqu’à ce jour du 15 avril 2024 où par l’effet d’une loi n° 2024-346 dit « visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels », la notion de trouble anormal de voisinage a pris place au sein du Code civil.

C’est sous le sous-titre II consacré à la responsabilité extracontractuelle que se trouve désormais un chapitre IV intitulé « Les troubles anormaux du voisinage » hébergeant le nouvel article 1253 du Code civil rédigé en ces termes :

« Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

Sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement

à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. »

 

Face à la multiplication des procédures judiciaires fondées sur une théorie jurisprudentielle bien assise jusqu’à alors, ce nouvel article interroge.

 

A titre liminaire, un rapide rappel de la théorie prétorienne des troubles anormaux de voisinage s’impose.

Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024, l’action en responsabilité pour troubles de voisinage était traditionnellement fondée sur l’article 544 du Code civil, qui dispose que : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Ce droit de jouissance absolue est cependant limité par l’obligation de ne pas causer à son voisin un dommage excédant les inconvénients normaux.

La Cour de cassation, dans un arrêt de 1986, a établi le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n° 84-16.379, Bull. civ. II, n° 172).

De ce principe découlait une responsabilité sans faute pour l’auteur dès lors que ce trouble dépasse les inconvénients ordinaires du voisinage. Ce fondement a notamment été invoqué par les victimes dans les actions en responsabilité pour dommages causés par des pollutions.

L’anormalité des troubles, qu’ils soient sonores, olfactifs, ou visuels, était laissée à l’appréciation du juge.

Depuis cet arrêt fondateur, la théorie des troubles anormaux de voisinage a fait l’objet d’une multitude d’arrêts postérieurs rendus par la Cour de cassation qui est venue en préciser les contours :

  • le trouble anormal subi doit provenir du voisinage,
  • la responsabilité est une responsabilité sans faute, une responsabilité de plein droit. Nul besoin donc de rapporter la preuve de la faute du voisin,
  • l’anormalité du trouble doit être prouvée,
  • la preuve d’un préjudice subi doit être rapportée : pas de préjudice, pas de réparation.

 

L’ensemble de ces critères ayant été exposé et précisé d’année en année par la Cour de cassation, quel est l’apport de cette codification ?

Assez limité en première lecture.

Le principe reste celui d’une responsabilité de plein droit, sans faute, et l’ensemble des critères dégagés par la jurisprudence ont été intégrés.

Le législateur a toutefois tenu à identifier précisément les personnes considérées comme faisant partie du « voisinage ».

C’est ainsi que l’on y retrouve le propriétaire, le locataire, l’occupant sans droit ni titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou exploiter un fonds ou encore le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs.

La condition étant que la personne physique ou morale soit à l’origine du trouble.

Le principal apport du nouvel l’article 1253 du Code civil réside au second alinéa, dans l’élargissement de la notion d’antériorité du trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.

L’antériorité n’est en effet plus limitée aux activités visées par l’article L.113-8 du code de la construction et de l’habitation (nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques), lequel a d’ailleurs été abrogé par la loi du 15 avril 2024.

Elle vise désormais des « activités, quelle qu’en soit la nature » antérieures à l’installation de la victime du trouble.

La responsabilité de l’auteur ne sera donc pas engagée, à la double condition que cette activité :

  • soit conforme aux lois et aux règlements et
  • se poursuive dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal

La loi du 15 avril 2024 a également créé l’article L.311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, précisant le régime de l’exonération pour les activités agricoles, en ajoutant une troisième alternative à la seconde condition, relative à la mise en conformité légale ou réglementaire de l’activité.

Ainsi, la responsabilité de l’auteur du trouble provenant d’activité agricoles antérieures à l’installation de la victime ne sera pas engagée à la double condition que cette activité :

  • soit conforme aux lois et aux règlements et
  • se poursuive dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ou dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité

 

Si la consécration légale de la théorie des troubles anormaux de voisinage ne semble pas apporter de changements notables, il n’en demeure pas moins qu’elle suscitera à l’avenir des interrogations notamment sur la notion de « modification substantielle » au titre de l’article L 311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime.

Quid également de la théorie du « voisin occasionnel », développée par la jurisprudence antérieure afin de retenir la responsabilité des intervenants sur un chantier de construction, auteur de troubles de voisinage.

Il était ainsi admis que la victime d’un trouble anormal de voisinage puisse demander réparation aux entreprises du bâtiments, architectes et autres constructeurs, auteurs du trouble.

 

Qu’en sera-t-il désormais, l’article 1253 ne visant que « le maître de l’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs » ?

 

Entrés en vigueur le 17 avril 2024, il est fort probable que ce nouvel article fera l’objet d’interprétation par la jurisprudence, afin d’en préciser les contours et la portée.