Le versement du prix de cession lors de la signature de l’acte définitif de cession du fonds de commerce n’est pas nécessairement synonyme de la perception immédiate par le vendeur de ce prix de cession.
En effet, bien qu’aucune disposition légale n’impose un séquestre du prix de cession dans ce cas, un tel séquestre est fortement recommandé afin de sécuriser les intérêts des parties.
- Pourquoi ?
Il existe deux raisons qui justifient la constitution d’un séquestre sur le prix de cession du fonds de commerce :
- En raison du principe de solidarité fiscale entre le vendeur et l’acquéreur du fonds. Cette solidarité permet à l’administration fiscale de se retourner contre l’un ou l’autre pour obtenir le paiement de certains impôts (et notamment, la TVA ou l’impôt sur les bénéfices), afin d’éviter toute fraude ou organisation d’insolvabilité.
- En vertu de la possibilité pour les créanciers du vendeur, impayés au jour de la cession, de former opposition sur le prix de cession du fonds. Cette opposition bloque le paiement du prix au bénéfice du cédant tant que la situation n’est pas régularisée (paiement ou garantie de la dette), ce qui protège les créanciers contre un éventuel détournement d’actif.
Ainsi, à défaut de séquestre, l’acquéreur du fonds de commerce, et nouvel exploitant, encourt le risque de voir les créanciers du vendeur venir réclamer le paiement de leur créance entre ses mains.
La constitution d’un tel séquestre est donc essentielle pour garantir l’acquéreur en cas d’oppositions formées par des créanciers ou l’administration fiscale.
- Comment ?
Le prix de cession est en général séquestré sur un compte spécifique, et notamment le compte CARPA de l’avocat ou le compte du notaire du vendeur ce qui veut dire qu’il est bloqué sur ce compte.
- Combien de temps ?
Concernant la solidarité fiscale (Article 1684 du Code général des impôts) :
La solidarité fiscale est encourue pour une durée maximale de cinq mois à compter de la cession.
Plus précisément, la solidarité fiscale est en principe égale à 90 jours suivant le dépôt de la déclaration des résultats par le vendeur du fonds de commerce, ou le dernier jour du délai imparti pour ce dépôt.
Or, cette déclaration de résultat doit intervenir dans les 45 jours suivant la publication de la vente du fonds au journal d’annonces légales, qui doit elle-même intervenir 15 jours après la cession.
Le législateur a prévu une exception, permettant de réduire ce délai de solidarité à 30 jours dans le cas où les conditions suivantes sont réunies :
- L’avis de cession du fonds de commerce a été transmis à l’administration fiscale dans un délai de 45 jours suivant sa publication dans un journal d’annonces légales.
- La déclaration de résultats a été déposée dans un délai de 60 jours à compter de la publication de la cession dans un journal d’annonces légales.
- À la date du dernier jour du mois précédant la cession, le cédant est à jour de ses obligations fiscales.
Concernant le droit d’opposition des créanciers (Article L.141-14 du Code de commerce) :
Les créanciers du vendeur disposent d’un délai de 10 jours à compter de la publication de la cession au BODACC pour former opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce. Ainsi, les créanciers disposent de 10 jours à compter de la publication de la cession pour écrire à la personne qui a constitué le séquestre et l’informer de sa créance et, de ce fait, de sa demande de paiement.
À l’issue de ce délai, toute opposition formée tardivement est en principe irrecevable et dénuée d’effet. Le créancier perd alors le droit de contester le versement du prix ainsi que la faculté de surenchère.
Il existe une exception dans le cas où l’avis de publication ne mentionne pas expressément ce délai de 10 jours, une opposition même tardive peut être jugée recevable.
Il est important de souligner qu’aucun paiement du prix, sous quelque forme que ce soit (y compris compensation ou délégation), ne peut être effectué pendant ce délai de 10 jours.
À défaut, l’acquéreur pourrait être contraint de verser une seconde fois le prix au profit d’un créancier opposant.
- Et en cas d’oppositions sur le prix de cession ?
Dans le cas où des oppositions ont été reçues durant le délai de 10 jours, le vendeur dispose de plusieurs possibilités :
- Opposition infondée: Une créance infondée peut être contestée par le vendeur du fonds. Il revient alors au créancier de prouver le bienfondé de sa créance. A défaut d’issue amiable, le vendeur du fonds pourra saisir le Président du tribunal en la forme des référés (article L. 141-16 du Code de commerce), afin de solliciter l’autorisation de percevoir le prix de cession. Le Code de commerce reste silencieux sur la question de la compétence matérielle du tribunal en telle matière. Cependant, la jurisprudence a pu considérer que compte tenu de la nature d’acte de commerce de l’acte de cession, la compétence revenait au Président du tribunal de commerce (ex : CA Versailles du 09/12/2021 n°21/02723). Ainsi, si le créancier ne parvient pas à prouver le bienfondé de sa créance, la mainlevée de l’opposition sera ordonnée, et le vendeur pourra percevoir le prix de cession.
- Opposition inférieure au prix de cession: dans ce cas, le vendeur peut saisir le Président du tribunal afin de solliciter l’autorisation de recevoir la différence du prix. Il s’agit du « cantonnement ».
- Surenchère sur le prix de cession: Lorsqu’un créancier opposant considère que le prix proposé pour l’acquisition d’un fonds est insuffisant pour couvrir sa créance, il peut exiger une vente aux enchères publiques avec un prix supérieur d’un sixième au moins de la valeur des éléments incorporels mentionnée dans l’acte de cession
- Procédure de purge par l’acquéreur: l’acquéreur du fonds a la possibilité d’engager lui-même une procédure de purge afin d’éviter une procédure d’opposition ou de surenchère qui pourrait remettre en cause la cession du fonds. Pour ce faire, l’acquéreur doit régler le prix de cession directement entre les mains des créanciers inscrits sur le fonds (privilèges ou nantissements), et pourra en contrepartie obtenir la radiation des inscriptions devenues sans objet. Cette procédure peut être initiée par l’acquéreur dans un délai de 15 jours suivant la réception de la sommation de payer des créanciers.
- Oppositions supérieures au prix de cession: Dans ce cas, et à défaut de distribution du prix de cession entre les créanciers dans un délai de 105 jours à compter de la date de l’acte de cession, l’article L. 143-21 du Code de commerce prévoit que la partie la plus diligente peut se pourvoir en référé devant la juridiction compétente du lieu de l’élection de domicile qui ordonnera soit le dépôt à la Caisse des dépôts et consignation, soit la nomination d’un séquestre répartiteur. La distribution judiciaire du prix de vente entre les créanciers se réalisera en fonction d’un ordre de privilège déterminé, à noter que le Trésor public prime sur tous les autres créanciers.
Il convient de souligner que le règlement à l’amiable des oppositions, sans passer par la voie judiciaire, est toujours possible afin d’éviter qu’une procédure soit initiée, et dès lors retarder le versement du prix.
Il est par conséquent vivement recommandé aux parties dans le cadre de la cession d’un fonds de commerce de se faire accompagner, pour l’acquéreur afin de le sécuriser face aux risques d’être poursuivis par les créanciers du vendeur, et le vendeur afin que ses intérêts soient justement défendus en cas d’oppositions et de récupérer dans les meilleurs délais le prix de cession.
CMC Avocats se tient à votre disposition pour vous accompagner dans le cadre de vos cessions de fonds de commerce et la sécurisation de vos opérations.