Pour pouvoir accéder au titre de marque en France, un signe doit passer 4 étapes cumulatives :
- Il doit être licite,
- Il ne doit pas être trompeur,
- Il doit être distinctif,
- Il doit être disponible.
Dans un précédent article, nous vous parlions de la première condition que doit remplir un signe pour constituer une marque juridiquement valide.
Dans cet article, nous vous dévoilons la seconde condition : le signe ne doit pas être trompeur.
Etape 2 : Choisir un signe qui n’est pas trompeur
Selon le Code de la propriété intellectuelle, les signes trompeurs sont ceux « de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance du produit ou du service 1. »
Les signes trompeurs, qu’on appelle aussi des signes déceptifs, sont donc ceux de nature à induire en erreur le consommateur et à affecter son comportement économique.
La victime première de la tromperie est le consommateur.
L’éventualité d’une telle tromperie doit donc être appréciée en fonction du type de clientèle qui est destiné au produit ou service et en fonction des réactions que l’on attend de la plupart des consommateurs.
Pour cela, les juges se réfèrent « à la réalité du marché, et aux habitudes et perceptions des consommateurs. »
Aussi, la victime de la tromperie va varier selon le type de produit ou services désignés par la marque.
S’agissant des produits d’usage courant, la déceptivité d’un signe va être appréciée au regard d’un consommateur d’attention moyenne.
En revanche, s’agissant des produits techniques, les juges vont apprécier le risque de tromperie par rapport à une clientèle avertie.
Il est important de souligner que le signe convoité peut être considéré comme trompeur alors même que la tromperie n’est pas matérialisée. En effet, il n’est pas nécessaire que le consommateur ait été effectivement trompé. Il suffit que la tromperie soit probable et que le risque soit suffisamment grave pour que le signe soit caractérisé de trompeur,
La déceptivité d’une marque s’apprécie au moment de son enregistrement.
Aussi, les juges ne tiennent pas compte des conditions de son exploitation et de l’usage qui est fait ultérieurement du signe pour apprécier son caractère trompeur.
Le caractère trompeur (ou non) du signe s’apprécie exclusivement au regard des produits et services désignés dans l’acte de dépôt. La question est donc de savoir si un signe peut être trompeur lorsqu’exploité en relation avec tels ou tels produits ou services.
Les catégories de signes trompeurs
Afin d’avoir une vision complète des catégories de signes reconnus comme trompeurs par la jurisprudence, nous pouvons les classer en cinq catégories.
1. Les signes trompant le consommateur sur la nature du produit ou du service désigné
Si une marque est composée d’un mot qui constitue une caractéristique du bien ou du service, à savoir sa composition, sa contenance, ses effets, ses vertus, alors celui-ci doit représenter la réalité et non pas être de nature à induire le consommateur en erreur.
Il en va de même si la marque est composée d’un terme qui évoque ce qui pourrait être perçue par le public comme une caractéristique.
À titre d’exemple, l’INPI 2, dont sa décision a été validée par la cour d’appel de Paris 3, a rejeté la demande d’enregistrement de la marque « Delikatessen KAVIARI PARIS », en soulevant sa nature trompeuse puisque les produits désignés étaient « œufs de poissons préparés » et des « œufs de poissons » et non du caviar comme cela était suggéré.
Ainsi, la marque a été qualifiée de déceptive par les juges qui ont estimé que le consommateur moyen pourrait légitiment penser que les œufs de poissons mis à la vente sous la désignation « Kaviari » étaient des œufs de caviar, ce qui n’était pas le cas.
De la même manière, la marque « Lainé » 4 qui désignait des articles qui n’étaient pas en laine, alors même que le signe suggérait une telle composition, a été jugée trompeuse.
À l’inverse, si la marque est composée d’un terme pour lequel il est évident qu’il est purement fantaisiste et qu’il ne fait nullement référence à une caractéristique des produits ou services visés par la marque, alors il ne sera pas considéré comme trompeur.
C’est le cas de la marque « Hippopotamus », désignant des restaurants, qui a été validée par les juges car il est clair que le consommateur ne risque pas de croire qu’on y mange de la viande d’hippopotame 5.
2. Les signes trompant le consommateur sur la qualité ou la composition du produit ou du service désigné
Si une marque est composée d’un mot qui représente ou est de nature à évoquer une qualité ou la composition du bien ou du service, alors celui-ci doit refléter la réalité et non pas être de nature à induire le consommateur en erreur.
Ainsi, la marque « Servi Frais » qui désignait des produits surgelés alors que le signe tenait à faire penser que les produits étaient frais a été rejeté. 6
En effet, les juges estiment que le signe « impose l’idée qu’il s’agit d’un produit qui n’a fait l’objet d’aucun traitement chimique ou physique de conservation, comme la surgélation. »
De même, la marque « Vin de femme » a été considérée comme déceptive par les juges qui ont estimé que les « vins commercialisés ne présentaient pas de qualités les rendant plus propres que d’autres à la consommation par des personnes du sexe féminin ». 7
3. Les signes trompant le consommateur sur le cautionnement du produit ou du service désigné
Sont illicites les marques composées en tout ou partie de termes laissant suggérer que les produits ou services visés bénéficient d’un soutien ou d’une validation officielle, si tel n’est pas le cas.
Ainsi, une demande d’enregistrement portant sur le signe « Label rose » 8 qui désignait des préparations pour blanchir ou nettoyer, des savons, des parfums, des cosmétiques et des bougies a été rejetée.
Selon les juges, ce signe pouvait faire croire au consommateur que les produits obéissaient à des critères de garantie de qualité conforme. De ce constat, ils en ont déduit qu’il y avait un risque suffisamment grave de tromperie puisque le consommateur moyen pourra associer le mot « label » à une certaine qualité.
4. Les signes trompant le consommateur sur l’origine du produit ou du service désigné
Les signes faisant référence ou suggérant l’origine des produits et services désignés doivent également respecter le principe de vérité et ne pas induire le public en erreur.
En application de ce principe, la Cour de Justice de l’Union Européenne a établi, à propos d’un signe composé des mots « La Irlandesa » 9 en caractères blancs sur une étiquette verte qui visait des produits alimentaires, que les consommateurs visés par cette marque, donc hispanophones, « établiraient à première vue et sans aucune autre réflexion un lien direct entre la signification de cet élément verbal et une qualité de ces produits, à savoir leur provenance géographique, et que, en voyant la marque apposée sur ces produits, ils croiraient donc que ces derniers provenaient d’Irlande. »
De même, le signe « IDEAL Paris » 10 a été refusé à l’enregistrement pour des produits de cosmétique au motif qu’il pouvait être trompeur en ce qu’il laissait entendre aux consommateurs concernés que les produits étaient d’origine parisienne.
Un signe peut également être considéré comme trompeur s’il induit le public en erreur sur le créateur des produits désignés.
C’est par exemple le cas des marques composées d’un nom patronymique ou reproduisant les armoiries d’une personne, si cette personne est réelle et bénéficie d’une notoriété, conduisant le public à considérer qu’il existe à tout le moins un lien entre elle et les produits ou services visés.
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Il convient de souligner que certaines marques, certains signes, peuvent devenir trompeurs en fonction de leur usage.
L’article L.714-6 b du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit ainsi la déchéance des marques devenues déceptives.
Il s’agit du cas où le dépôt de marque n’était pas intrinsèquement trompeur, mais l’usage effectué par la suite du signe en association avec certains produits ou services rend a posteriori la marque déceptive.
Ce sera notamment le cas lorsque la qualité ou l’origine des produits est modifiée par l’exploitant de la marque après son dépôt.
A titre d’exemple, il a été reconnu que la marque « Mövenpick of Switzerland » est devenue déceptive après avoir délocalisé ses usines en Allemagne. Il n’y avait plus de fabrication en Suisse.
Nous vous recommandons donc de vérifier que vos marques ne portent pas en tout ou partie sur un terme susceptible d’induire le public en erreur.
En cas de doute, n’hésitez pas à contacter les équipes de CMC AVOCATS pour une analyse de votre portefeuille de marque et de déceptivité de vos signes et marques.
1 Article L.711-2 8° du Code de la Propriété Intellectuelle
2 INPI, 3 août 2020
3 Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 11 juin 2021, 2020/12605 (M20210141)
4 TA Amiens, 21 mai 1974
5 CA Paris, 9 mars 1987 : PIBD 1987, III, p. 443
6 Ca PARIS, 4ème chambre, 12 février 1981, PIBD 1er avril 1981
7 CA Paris, 5 mai 1988 : PIBD 1988, III, p. 397
8 Cour de cassation, 18 septembre 2019, n°G/2017/27974
9 29 juin 2022, aff T-306/20, Hijos de Moisés Rodríguez González/EUIPO
10 INPI, 26 juillet 2023, 14907418