Pour pouvoir accéder au titre de marque en France, un signe doit passer 4 étapes cumulatives :
- Il doit être licite,
- Il ne doit pas être trompeur,
- Il doit être distinctif,
- Il doit être disponible.
Dans deux précédents articles, nous vous parlions de la première condition (licéité) et de la deuxième condition (absence de caractère trompeur) que doit remplir un signe pour constituer une marque juridiquement valide.
Dans cet article, nous vous dévoilons la troisième condition : le signe doit être distinctif.
Etape 3 : choisir un signe distinctif
Le Code de la Propriété Intellectuelle subordonne en effet l’acquisition d’une marque à la réunion d’un certain nombre de conditions et notamment au fait que le signe doive être distinctif.
En effet, l’article 711-2 prévoit que :
« Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls :
(…)
2° Une marque dépourvue de caractère distinctif ;
3° Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation du service ;
4° Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;
5° Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;»
Cette nécessité de distinctivité de la marque est la conséquence de sa fonction essentielle qui est de garantir au consommateur l’origine du produit ou du service désigné par la marque.
En effet, cette origine ne peut être garantie que si le signe est distinctif, c’est-à-dire s’il permet au consommateur de le distinguer, sans aucune confusion, des produits et services provenant d’une autre entreprise.
Ainsi, on dit souvent que le signe choisi comme marque doit être composé d’éléments arbitraires au regard des produits ou services désignés.
Pour être distinctif, il n’est pas nécessaire que le signe traduise un grand niveau de créativité ou d’imagination : le signe peut tout à fait être banal ou connu.
On range les signes non distinctifs et donc illicites dans les 3 catégories suivantes :
Les signes descriptifs
L’article L.711-2, 3° du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit expressément que sont illicites les signes descriptifs d’une caractéristique du produit ou du service, et notamment :
- de l’espèce,
- de la qualité,
- de la quantité,
- de la destination,
- de la valeur,
- de la provenance géographique,
- de l’époque de la production du bien ou de la prestation du service
Ainsi, un signe qui désigne directement le produit ou le service pour lequel la marque a été enregistrée est illicite.
Le signe sera également considéré comme descriptif s’il ne désigne pas directement les produits ou services mais présente un rapport suffisamment direct et concret avec les produits et les services en cause, de nature à ce que le public perçoit directement une description des services et des produits en cause ou d’une de leur caractéristique.1
Ce refus d’enregistrement des marques descriptives a pour but de préserver le principe de liberté du commerce et de l’industrie et plus précisément de libre concurrence : toutes les entreprises doivent pourvoir librement utilisées dans le commerce les caractéristiques des produits ou des services qu’elles proposent. Si une entreprise pouvait monopoliser l’usage d’un terme ou d’une figure descriptive, la libre concurrence serait alors menacée. Il est donc indispensable que les termes descriptifs demeurent dans le domaine public.
C’est ainsi que la dénomination « Truffe noire du Périgord » a été jugée par l’INPI comme dépourvue de caractère distinctif compte tenu « de l’ensemble des produits et des services visés au dépôt, dès lors que [ce signe] ne pourra être appréhendé par le consommateur comme un signe lui permettant de déterminer l’origine des produits et des services et de les distinguer sans confusion possible des produits et services qui ont une autre provenance. »2
De même, la marque « Ultra Doux » concernant des produits capillaires a été jugé descriptives par rapport à la qualité du produit par la Cour d’appel de Versailles.3
Enfin, une autre marque visant des magazines destinés aux jeunes filles dénommée « Mademoiselle » a été jugée comme descriptive en ce que sa destination était trop caractérisée dans la dénomination.
La jurisprudence a précisé que le caractère descriptif ne peut être admis qu’à condition que le vocable litigieux suggère une caractéristique précise.4
Par ailleurs, la jurisprudence admet que les marques qui ne font qu’évoquer des caractéristiques des produits et des services ne sont pas considérées comme descriptives et donc, ne sont pas illicites.
Par exemple, le terme « Vitalité » en tant que marque qui désigne des aliments pour bébés et des eaux minérales et gazeuses n’est pas considéré comme descriptif.
Toutefois, ces marques dites évocatrices bénéficient d’une protection moindre. En effet, la jurisprudence tend à considérer que « plus le caractère distinctif de la marque antérieure est fort, plus le risque de confusion est élevé » (CJCE, 11 novembre 1997).
A contrario, une marque faiblement distinctive jouira généralement d’une protection à l’égard des signes identiques ou très proches (quasi-identiques), mais plus difficilement à l’égard de signes similaires.
Les signes usuels
L’article L.711-2, 4° du Code de la propriété intellectuelle interdit également les signes qui sont usuels.
Le caractère usuel d’un signe renvoie à la désignation d’un signe communément utilisé pour désigner le produit ou le service dans le langage courant ou professionnel.
Il s’agit également des signes nécessaires ou génériques.
Parce que ce signe sera communément utilisé par le public ou les autres entreprises pour désigner le produit ou le service et qu’ainsi, il ne sera pas perçu par le public pertinent comme distinguant les produits d’un seul et unique opérateur identifié, il ne pourra pas jouer son rôle d’indicateur commercial.
L’appréciation du caractère usuel du signe doit se faire selon l’usage en vigueur dans les milieux dont relève le commerce des produits et des services.5
Aussi, le TGI de Paris a estimé que la marque Texto est générique et même usuelle pour désigner des services de messagerie téléphonique.6
Exception : l’acquisition du caractère distinctif par l’usage
Par exception, un signe peut acquérir un caractère distinctif par l’usage.
Cela exige toutefois de prouver qu’au moins une fraction significative du public pertinent identifie grâce au signe les produits ou les services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.
Plusieurs facteurs sont alors étudiés par les tribunaux pour déterminer si la marque est bien à l’origine du rapport avec le produit et le service que le public perçoit immédiatement.
Notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque mais aussi l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir seront étudiés.7
C’est ainsi que le TGI de Paris a estimé que le titulaire de la marque « CARRE BLANC » pouvait revendiquer une distinctivité acquise par l’usage.8
Cependant, le caractère distinctif d’une marque ne peut pas être acquis par l’usage concernant des « signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou en conférant à ce dernier sa valeur substantielle 9 ». Dans ce cas, l’usage ne peut rendre de tels signes distinctifs.
Les signes constitués d’une forme
L’article L. 711-2, 5° du Code de la Propriété Intellectuelle interdit d’adopter un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle.
La Cour d’appel de Versailles a pu appliquer cet article en annulant une marque figurative visant des boîtes de conserve constituée par « une boîte de forme rectangulaire aux angles arrondis dont la partie supérieure et la partie inférieure présentent un bourrelet dépassant le couvercle de fermeture » en expliquant que cette forme répondait à une nécessité pratique, à l’usage même de la boîte de conserve qui doit être ouverte. 10
De même, la forme d’une bouteille bourguignonne nue avait été déposée comme marque pour désigner un vin de champagne mais la cour de cassation l’avait jugée banale et non distinctive en application de l’article L.711-2, 5°. 11
Cependant, concernant les produits qui n’ont pas une forme intrinsèque et dont la commercialisation exige un emballage, la jurisprudence nuance bien souvent cette interdiction en indiquant que « la forme du produit ou de son conditionnement peut constituer une marque, à condition qu’elle soit, d’une part, susceptible d’une représentation graphique et, d’autre part, propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. » 12
C’est ainsi que la physionomie typique de la bouteille de Perrier a été jugée distinctive, relevant d’un conditionnement « arbitraire et de fantaisie » . 13
L’appréciation du caractère distinctif dépend de plusieurs éléments.
Premièrement, ce caractère s’apprécie en fonction des produits et services indiqués dans la demande d’enregistrement. 14
Ainsi, une marque pourra être considérée comme distinctive concernant certains produits et certains services alors qu’elle ne sera pas considérée de la même façon pour d’autres produits et services.
Il n’existe donc pas d’absence de distinctivité d’un signe dans l’absolu.
Deuxièmement, le caractère distinctif doit être apprécié par rapport au public pertinent visé par la marque. 15
Le public pertinent pouvant varier selon la nature du produit ou du service, l’appréciation de la distinctivité du signe pourra également différer.
Ainsi, si le produit ou le service est destiné au grand public, le caractère distinctif sera apprécié au regard des consommateurs d’attention moyenne, normalement informés et raisonnablement attentifs.
Par exemple, lorsque le produit ou le service désigné est de consommation courante et, partant, destiné au grand public, le juge n’admet le caractère arbitraire ou distinctif du signe constitutif de marque que s’il n’est ni descriptif, ni usuel pour l’ensemble des consommateurs potentiels.
De même, si le signe déposé est un terme étranger, et que les produits ou services visés sont destinés aux consommateurs, l’examinateur ou le juge devra se demander si le consommateur moyen français en connaît le sens et s’il fait partie du langage courant en France.
En revanche, si le produit ou le service est destiné à des spécialistes, et fait donc l’objet d’une diffusion restreinte, il conviendra de prendre en considération la sensibilité d’un public plus limité pour apprécier le caractère arbitraire ou non d’un signe.
Par exemple, concernant la distinctivité de la marque Micropeau pour désigner des produits et des services de coiffure et de parfumerie, le Tribunal de Grande Instance de Paris a estimé que l’appréciation du caractère distinctif est la fonction du milieu de spécialistes qui traite le produit.
En l’espèce, il s’agissait des mots « Micropeau » et « micro-peau » qui désignait un support de prothèse capillaire dans le milieu de la coiffure.
En se référant à ce public de spécialiste, cette dénomination était donc usuelle dans le milieu et bien avant son dépôt. 16
Enfin, soulignons que le caractère distinctif du signe s’apprécie au jour du dépôt de la demande de marque.
Deux tempéraments sont toutefois à apporter.
En premier lieu, le caractère distinctif peut être acquis par l’usage comme vu précédemment.
En second lieu, le caractère distinctif peut également être perdu par l’usage.
C’est le cas de la dégénérescence du signe.
En effet, l’article L. 714-6, a) du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait :
a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ».
Ainsi, le signe qui serait devenu, du fait de son titulaire, le nom commun, usuel, d’un produit ou d’un service dans le commerce, n’est plus apte à constituer une marque valable.
À titre d’illustration, on citera l’arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2004 relatif à la marque Pina Colada 17 lequel a retenu que le titulaire était resté passif face à l’emploi généralisé de l’expression « pina colada » pour désigner un cocktail alcoolisé à base de jus de fruits, notamment dans des livres de recettes, sur un site Internet, et sur les cartes de bars ou d’entreprises de restauration exploitant de nombreux établissements.
Dès lors, la marque était devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service.
* * *
Nous vous recommandons donc de vérifier que vos marques comportent bien des signes distinctifs permettant leur licéité. En cas de doute, n’hésitez pas à contacter les équipes de CMC AVOCATS pour une analyse de votre portefeuille de marque et de la licéité de vos signes et marques.
1 TUE, 23 Sept. 2020, Spark Networks Services GmbH/Pe Digital GmbHO, T-36/19, point 38
2 INPI, 07 mars 2023
3 CA Versailles, 11 févr. 2001 : Gaz. Pal. 21-22 nov. 2001, p. 53 , note V. Staeffen)
4 CA Paris, pôle 5, 2e ch., 17 déc. 2021, n° 21/00970 : PIBD 2022, n° 1176, III, p. 5 ; LEPI 2/2022, note A. Lebois
5 CJCE, 5 oct. 2004, Alcon/OHMI – Dr. Robert Winzer Pharma, C-192/03 P, point 28
6 TGI Paris, 29 janv. 2008 : PIBD 2008, n° 872, III, p. 264 – confirmé par la Cour de cassation, 29 sept. 2009, n° 07-20.440 : JurisData n° 2009-049773
7 TUE, 14 déc. 2017, bet 365 Group Ltd / EUIPO – Robert Hansen, T-304/16, point 27
8 TGI, 10 juin 2022, N° RG 19/15002
9 Article L.711-2 5° Code de la propriété intellectuelle
10 CA Versailles, 14e ch., 6 janv. 1995
11 Cass. com., 20 mars 1985, n° 83-14.007
12 CJCE, Affaire Henkel C-218 / 01
13 CA Nîmes, 12 oct. 1982
14 CJCE, 22 juin 2006, August Storck/OHMI, C-24/05 P, point 25
15 CJCE, 22 juin 2006, August Storck/OHMI, C-24/05 P, point 25
16 TGI Paris, 2 octobre 1980, PIBD 1981, III, p. 34
17 Cass. com., 28 avr. 2004, n° 02-10.505 : JurisData n° 2004-023501